Disciple du grand Toumani Diabaté, lauréat instrumental du Métro Awards, Pédro Kouyaté vient de sortir "Aina", un album dédié à sa fille.
Avec son chapeau et son rire un peu éraillé, Pédro Kouyaté est un personnage qui embringue tout le monde dans son univers musical. Depuis dix ans, le matin, aux heures de pointe, les travailleurs qui passent par le métro République à Paris entendent le son de sa guitare mandingue. Ce talent vient d'être couronné par le trophée de meilleur artiste instrumental par la RATP, la société qui gère le métro parisien. Griot par son père, ce Franco-Malien a su faire fructifier son héritage : « Depuis tout petit, j'ai grandi avec de grands maîtres comme Toumani Diabaté, Mangala Camara, Kassé Mady Diabaté qui étaient déjà installés dans le milieu musical », raconte-t-il
Inspiré et recommandé par Toumani, son grand maître...
Pédro Kouyaté se revendique fièrement de « l'écurie » du mythique joueur de kora Toumani Diabaté. L'aventure commence à Bamako, dans les années 80, dans le quartier populaire N'Tomikorobougou, qui signifie la cité des tamariniers en bambara : « La famille de Toumani Diabaté est voisine de celle de Ballaké Sissoko. Ce sont mes grands frères », explique-t-il. « Toumani, c'est le Fela, l'Otis Redding du quartier. Quelqu'un qui, comme lui, a un nom dans la musique et vient d'une grande famille est respecté. J'étais un microbe à l'époque. Je n'avais pas froid aux yeux et je suis parti le voir. En Afrique, quand tu t'approches de tes aînés, ils te confient de petits boulots. » Dans la grande maison de Toumani héritée de son père, le grand Sidiki Diabaté, la musique ne s'arrête jamais: « Je faisais partie des petits musiciens qui jouaient de temps en temps avec l'orchestre A de Toumani : le Symmetric Orchestra qui animait dans les boîtes de nuit comme le Hogon, aujourd'hui fermé. Je nettoyais les salles de répétition... » De fil en aiguille, Toumani recommande son « petit » au bluesman Boubacar « Karkar » Traoré, alors à la recherche d'un percussionniste. « Quand Toumani dit à quelqu'un tu peux travailler avec lui, ça vous donne un CV super costaud ! », dit-il, avec son rire inimitable. « Je suis devenu son joueur de calebasse. Cette cucurbitacée, c'est la batterie africaine. Boubacar est devenu mon premier patron. De 2002 à 2005, il m'a mis dans l'avion. On a joué dans le monde entier. Ces années ont été des années de base professionnelle. J'ai rencontré plein de musiciens. J'ai appris le fonctionnement des tournées, des cachets. Comment réserver un hôtel. C'est une forme de reconnaissance mais, en même temps, c'est une responsabilité. Boubacar Traoré, ce n'est pas n'importe qui. J'ai eu cette chance, moi qui ne me voyais même pas venir en Europe et être sur la même scène que Boubacar Traoré. »
... avant de voler de ses propres ailes
En 2007 et en 2010, Pédro Kouyaté enregistre deux galettes. Un an plus tard, il est fin prêt à voler de ses propres ailes : « Il m'a fallu un courage énorme pour quitter Boubacar. Je ne voulais pas être un accompagnateur à vie. J'ai pris un gros risque. Je n'y ai rien gagné financièrement, mais j'ai eu la liberté de me préparer et de faire ma musique. La structure qui faisait tourner Boubacar a vu que j'avais déjà un répertoire. Ils m'ont fait faire sa première partie à la Cigale. C'était un challenge d'apporter une couleur différente de la sienne. »
Quand il chante en s'accompagnant de sa guitare ou de sa kora, Pédro Kouyaté refuse de mettre une étiquette à sa couleur musicale. Il est rétif à tout cliché sur l'Afrique dans lequel on pourrait l'enfermer : « C'est un piège d'être catalogué comme musicien africain. Peu de gens qui ont été en Afrique connaissent vraiment l'Afrique. Même les Africains ne connaissent pas toute l'Afrique. Kassé Mady Diabaté est un chanteur incroyable. Mais pourquoi dire qu'il est traditionnel ? Est-ce qu'on dit d'Ella Fitzgerald qu'elle est traditionnelle ? Il faudrait avoir un autre regard sur l'Afrique. Quand, dans un journal télévisé, on parle de Prince pendant dix minutes, juste après on expédie en une phrase la mort de Papa Wemba, cet arbre sacré de la musique... »
« Ma musique n'est pas qu'africaine »
Une chose est sûre, il ne faut pas compter sur Pédro Kouyaté pour compartimenter son univers : « Ma musique n'est pas qu'africaine », rappelle ce licencié en socio-anthropologie. « Je mange et vis en France. Ma vie est faite de plans galères, mais aussi de belles rencontres. C'est le moteur de ma création. Ma musique n'est pas stagnante. Je ne suis pas qu'un musicien africain, je suis un musicien. Quand on écoute ma musique, on sait tout de suite d'où elle vient. Mais ça ne vient pas que de chez moi au Mali. Ça vient aussi des gens qui me donnent dans le métro, d'un billet de 50 euros à quelques centimes. Je fais du blues. Je suis africain, né en Afrique. Mais l'Afrique appartient à tout le monde. Pas seulement aux Africains. Et ceux qui ne croient pas en venir viennent de là-bas quand même ! »
Lauréat du Métro Awards
Cette année, Pédro Kouyaté a remporté un trophée au concours Métro Awards qui clôture dix ans de labeur dans les couloirs de « son bureau », comme il l'appelle : « Ça fait dix ans que ce public me suit et vient à mes concerts. Il m'anime, me permet de produire mes albums. Il a voté pour moi sur les réseaux sociaux. J'ai beaucoup de fans qui me suivent et achètent mes albums sur mon site. » Grâce à cette récompense, l'artiste a pu éditer gratuitement un single, « Aina », au studio Active Records. Dans la foulée, il a enregistré son cinquième album éponyme, dédié à sa fille. Ce 6 juin, son nouvel opus est présenté au Café de la danse à Paris. À cette occasion, le documentaire Shukugawa River de Sophie Comtet Kouyaté, tourné au Japon en 2014, avec Pédro comme fil conducteur, sera projeté. En 2006, la réalisatrice a déjà fait jouer son mari dans un autre film, sur la musique à Bamako, intitulé Foly.
À la recherche d'un label
Pour la suite, l'artiste autoproduit est à la recherche d'un label : « Un artiste ne peut pas faire tout tout seul. Je veux passer à une autre étape. Faire découvrir ma musique à un public plus nombreux. J'essaie de la diffuser dans les festivals, les médiathèques, les prisons... J'ai fait deux ans au sein des Jeunesses musicales de France, une association qui donne un accès à la culture à des jeunes défavorisés. Je joue dans les médiathèques, les instituts français, à la Philharmonie de Paris... pour que ma musique soit entendue dans des lieux qui ne sont pas faciles d'accès. C'est aux artistes d'aller vers ça. Je ne m'arrête pas à un simple refus, je continue !» Pas de doute, Pédro kouyaté ne lâche rien. Parmi les thèmes du nouvel album de Pédro Kouyaté, il y a « Nobody Knows Tomorrow », qui signifie : « On ne sait pas de quoi demain sera fait ». « Si tu peux aider quelqu'un et donner de l'amour, fais-le, sans calculer. Si tu peux faire le bien ou empêcher le mal, fais-le, parce que tu ne sais pas de quoi demain sera fait ! » dit, Pédro Kouyaté, l'optimisme chenillé au corps.
Source: http://afrique.lepoint.fr/
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